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Toujours les mêmes familles riches depuis le Moyen-Âge à Florence?

Exemple de main courante Sitadel

Une nouvelle a fait les manchettes de nombreux journaux en mai dernier : d’après une étude sur la ville de Florence, « les familles riches aujourd’hui sont les mêmes qu’il y a six cent ans ! ». Des économistes de la Banque d’Italie ont comparé les revenus actuels à Florence avec ceux reportés par un document datant de 1427.

Une nouvelle plutôt déprimante dans le contexte actuel, alors que les thèmes de l’inégalité et de la redistribution de la fortune deviennent de plus en plus discutés. Si la répartition des revenus a survécu à six siècles de vicissitudes – et la Toscane en a été particulièrement riche, des Medici aux guerres mondiales en passant par les guerres d’Italie et l’époque napoléonienne – alors on peut se poser des questions sur l’égalité des chances et la mobilité sociale.

L’étude en question s’appuie sur un document de 1427 recensant les revenus en ville de Florence, et sur le fait que les noms de familles à Florence sont assez typiques et locaux pour rendre les filiations directes probables. D’après les auteurs, il s’agit de la première étude de la mobilité sociale traversant les siècles (je n’en ai pas trouvé d’autre non plus). La mobilité des revenus est bien sûr un sujet très étudié, mais les chercheurs se concentrent habituellement sur la corrélation des revenus entre une génération et la suivante. Une seule étude, réalisée en Suède, a suivi la mobilité sur deux générations, des grands-parents aux petits-enfants.

Familles riches pendant six siècles ?

En y regardant de plus près, les résultats de l’étude de la Banque d’Italie ne sont pas aussi choquants que le suggèrent les titres des quotidiens et sur le web. Le résultat principal de l’étude est que la corrélation entre les revenus de 1427 et les revenus actuels est de 5%. Cela implique que les descendants d’une famille riche en 1427 gagnent aujourd’hui en moyenne entre 5% et 10% de plus que celui d’une famille pauvre. Donc si un « Grosso » peut espérer en moyenne 2000€ par mois aujourd’hui, un « Medici » peut en espérer 2100 ou 2200.

C’est peut-être un peu injuste, mais ce n’est pas vraiment la situation que suggèrent les gros titres, qui font penser que les riches de l’époque le sont encore à peu près tous.

L’ascenseur social

Pourtant ces résultats sont tout de même une surprise pour les spécialistes, car en appliquant une analyse mathématique standard sur la mobilité sociale, on s’attendrait à ce que l’inégalité de la répartition des revenus soit entièrement gommée en quelques générations. Après 600 ans, il ne devrait rester absolument aucune relation mesurable entre le revenu moyen des familles. La mobilité sociale est souvent mesurée par un indice de corrélation entre la richesse d’une génération et celle de leur descendants directs, l’élasticité des revenus, dans le jargon des économistes. Par exemple, si cet indice est de 50 %, la moitié de descendants « héritent » statistiquement du revenu de leurs parents, l’autre moitié est redistribuée par l’ascenseur social, vers le haut ou vers le bas.

Un indice de 50% caractérise les pays modernes avec une mobilité sociale relativement faible, comme l’Angleterre et les Etats-Unis. La Suisse est proche à 46 %. La plupart des pays européens ont des indices plus faibles, avec à l’extrême les pays scandinaves. Le Danemark par exemple montre indice de 15 % seulement, ce qui indique que la grande majorité des habitants n’héritent pas de la situation de leurs parents. Dans les pays fortement inégalitaires, l’indice peut dépasser les 50%, il est de 67% par exemple au Pérou.

Une application un peu naïve de cet indique de transmission du revenu entre génération suggère que, si le coefficient après une génération est de 50%, il devrait être de 25% après deux générations. Le revenu s’hérite pour un enfant sur deux, puis pour un petits-enfants sur deux par rapport aux parents, donc un sur quatre par rapport aux grands-parents. Extrapolé sur la vingtaine de génération qui nous séparent de 1427, en divisant par deux à chaque génération, cela donnerait un coefficient de corrélation de l’ordre de 0.0001 %. C’est comparé à ce chiffre que le coefficient de 5% trouvé par l’étude la banque d’Italie indique donc une rémanence remarquable des inégalités.

Les auteurs de l’étude évoquent deux possibilités pour expliquer ces résultats. La première, c’est que la mobilité sociale a été beaucoup plus faible que ce que l’on pensait pendant la plus grande partie de l’histoire de Florence. D’après leurs calculs, on aurait besoin de coefficients entre 80% et 90% pendant des siècles. C’est à dire qu’un enfant de riche aurait plus de quatre chances sur cinq d’avoir un haut revenu lui-même (il s’agit de « lui » et non d’ « elle » car les noms de famille suivent principalement la ligne paternelle). Ce type de coefficients est extrême et excède même ceux qui caractérisent actuellement les pays les plus inégalitaire.

L’autre possibilité, c’est qu’on ne peut pas simplement combiner les coefficients de mobilité sur une génération pour extrapoler à plusieurs générations. L’étude suédoise avait d’ailleurs déjà fait cette constatation : des grands-parents aux petits enfants, la mobilité était moins grande que ce qu’on attendait d’une multiplication naïve de la mobilité sur une génération. Pour comprendre ce phénomène, qu’on pense à un exemple concret : un fils de famille aisé fait des études d’art, et se retrouve dans une vie « de Bohème » à bas revenu. Mais il évolue toujours dans un milieu culturel et familial supérieur. Ses enfants pourraient bien adopter une profession libérale par exemple, et bénéficier d’un salaire élevé. L’absence de mobilité sociale peut donc ainsi « sauter une génération » pour lier les grands-parents aux petits-enfants. Le salaire n’est pas le seul indicateur de position sociale, et d’autres facteurs, comme le milieu familial et le bagage culturel, ont plus d’inertie que le salaire d’une génération à l’autre.

Pour ma part j’ajouterai même une relation supplémentaire, que les auteurs de l’étude ne mentionnent pas. Il se pourrait aussi que ces corrélations traversent les siècles plus directement, en s’associant directement aux noms de famille. Est-il difficile d’imaginer qu’un jeune nommé « Medici » à Florence ait statistiquement une chance un peu plus élevée d’obtenir un emploi donné qu’un jeune nommé « Grosso », du simple fait du prestige historique associé au nom de Medici dans la ville ? Cet héritage tout à fait indirect du patrimoine familial ne s’étiole que très lentement, et peut rendre hasardeux le lien entre la mobilité entre générations et les corrélations à travers les siècles entre le revenu et le nom de famille.

À la fin de leur discussion, les auteurs de l’étude italienne mentionnent aussi un aspect qui a peut-être déjà traversé votre esprit à la lecture de cet article : on considère la mobilité des revenus, mais qu’en est-il des fortunes ? Pour vraiment étudier les inégalités sur le long terme, il faudrait aussi considérer les fortunes, donc la transmission d’une génération à l’autre est plus directe que celle des revenus. Évidemment, aujourd’hui comme hier, les chiffres de fortune sont beaucoup plus difficiles à obtenir que ceux des revenus. Mais ce n’est pas impossible, et les chercheurs sont futés.  À suivre …

Ref.:  Intergenerational mobility in the very long run: Florence 1427-2011, Guglielmo Barone and Sauro Mocetti, Bank of Italy Working Paper No 1060

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