Tous les ans, le magazine Bilan/Bilanz publie la liste des 300 plus grosses fortunes de Suisse. Une occasion pour nous tous de nous demander encore une fois : mais que faire de tous ces milliards ? Ou alors, si par accident vous n’êtes pas sur la liste, « mais que font-ils de tous ces milliards ».
Globalement, les 300 personnes de la liste Bilan se répartissent une fortune estimée à 600 milliards de francs. Cette liste fait évidemment penser au phénomène de l’inégalité face à l’argent et au patrimoine dans notre pays.
Les milliardaires sont-ils une extension naturelle de la répartition des richesses en Suisse ?
À ce propos, je me suis demandé comment les « 300 de Bilan » s’inscrivent dans la distribution générale des richesses en Suisse. Sont-ils une extension naturelle de la distribution des richesses, ou une anomalie scandaleuse du côté des plus grosses fortunes?
Il s’avère que globalement, les richesses dans une société humaine sont assez naturellement tendance à se répartir en loi de puissance : Une majorité de personnes en a peu, une petite fraction possède beaucoup, et une fraction de cette fraction possède énormément, et ainsi de suite jusqu’au sommet de la pyramide. En mathématiques, une loi de puissance est une droite sur un graphe dont les axes sont exprimés en logarithme. Dans le cas de la répartition des richesses, la pente de cette droite exprime le degré d’inégalité dans la société en question.
Pas si facile de trouver des données précises sur la répartition des richesses en Suisse
En tentant de répondre à cette question, j’ai été plutôt surpris : il s’avère difficile d’estimer la répartition de la richesse en Suisse. L’Office fédéral de la statistique possède des données extrêmement précises sur les salaires, et de leur distribution en fonction de l’âge, du lieu de domicile et du nombre de pièces dans la maison. Il comptabilise le nombre exact de chauffages à bois dans le district d’Aigle et les sorties cinéma à Moutier. Mais pour un élément aussi central que le patrimoine des familles, les avoirs des propriétaires d’immeubles, de terrains, d’actions et de comptes en banque, la Suisse ne collecte pas de statistique officielles.
J’ai donc utilisé des moyens un peu détournés pour faire une estimation : dans la plupart des pays, la forme générale de la distribution des richesses est comparable à celle des salaires. Si l’on se base sur les statistiques de l’impôt sur le revenu en Suisse, il s’avère qu’une loi de puissance avec un coefficient de 0.95 décrit très bien la distribution. Pour passer du montant de l’impôt à la fortune totale, je me base sur une étude de la BNS en 2013, Patrimoine des ménages en Suisse, qui estime le patrimoine privé total à 3186 milliards de francs.
J’ai ensuite ajouté, tout au bout de la distribution, la répartition des 300 plus grandes fortunes d’après Bilan en 2015.
Les milliardaires égalitaires
Le résultat m’a bien surpris : la pente de la distribution des richesses s’affaisse quand on arrive aux 300 grandes fortunes. Qu’est-ce que ça signifie ? Et bien que les inégalités des 300 milliardaires entre eux sont plus faibles que dans la population en général. Par exemple, si le 10% des plus riches de Suisse (env. 800’000 personnes) possèdent cinq fois plus que les 10% suivant, les 25 premiers du classement Bilan ne possèdent qu’envions deux fois plus que les 25 suivants. Si la distribution avait la même pente pour le reste de la population que pour les milliardaires, les inégalité seraient beaucoup moins fortes.
Pour vérifier qu’il ne s’agissait pas d’une anomalie Suisse, j’ai aussi jeté un coup d’œil sur le classement des 500 plus grandes fortunes du monde par le magazine américain Forbes, comparé à la distribution des richesses aux États-Unis, et fait la même constatation. Le phénomène semble similaire au niveau planétaire.
Y a-t-il une conclusion à tirer ? Je n’en sais rien. Il se pourrait que des mécanismes différents sont à l’œuvre pour la création des inégalités entre millionnaires et milliardaires. Ou alors que l’économie suisse actuelle accentue les inégalités dans les classes moyennes et pauvres.
En tout cas, c’est une source d’inspiration pour nous autres : si seulement la société dans son ensemble pouvait être aussi égalitaire que les milliardaires entre eux, il y aurait beaucoup moins de monde dans le besoin !
Références :
– Bilanz, Die 300 Reichsten 2015, bilanz.ch/300-Reichste-live
– Banque Nationale Suisse, Patrimoine des ménages en Suisse, www.snb.ch/fr/iabout/stat/vph/id/statpub_vph_desc